DERGUINI Arezki
Dans les textes précédents « Des élections pour quoi faire » et « De la défiance à la fabrication d’une volonté générale », la réponse à la question doit-on participer aux élections législatives ou pas, m’avait conduit à soutenir que la vraie question était celle de savoir quid du changement: pacifique ou violent ? J’avais essayé de montrer, sans avoir pu le faire très clairement peut être, que seul le changement pacifique était en mesure d’accorder les volontés en une volonté générale, que seul l’accord des volontés pouvait construire un système de résolution pacifique des conflits. Ceci étant donné, après la convention du FFS du vendredi, je me rends compte qu’il faut encore aller plus loin pour lever les équivoques : s’il faut vouloir le changement pacifique, et si lui seul peut accorder durablement les volontés (parce qu’elles y ont agréé d’elles-mêmes et qu’elles peuvent revoir leur accord, établir une nouvelle volonté générale de la même manière), il faudrait tout d’abord qu’elles soient animées de cette disposition à s’accorder, celle de se donner le cadre qui exprimerait le vouloir commun dans lequel des volontés opposées, particulières résoudraient leurs luttes et conflits.
L’on peut donc se demander si une telle disposition entre les volontés particulières existe. Dans le texte, « les obstacles au changement », j’avais considéré trois facteurs : une volonté générale confuse quant à la loi qui serait la sienne, une société dominante dont les luttes internes font oublier le bien commun et troisièmement, une volonté internationale quoique s’étant exprimée en faveur du changement émet encore des signaux équivoques : difficile de distinguer si derrière la demande du changement ne se cache pas la recherche du chaos ! Si donc la société, la majorité de la population et la jeunesse en premier lieu, exprime de manière claire son désir de changement, pour ce qui concerne les deux autres parties, la société dominante[1] et le monde extérieur[2], qui ont peut être trop à perdre, on ne peut en dire autant. Pour que puisse s’établir un large consensus entre les différentes volontés (internes et externes), pour que le changement puisse être pacifique, il faudrait qu’elles puissent composer un intérêt commun, chose dont nous n’avons encore aucun aperçu.Pour qu’il y ait un changement pacifique il nous faut donc une vision, une perspective, une direction qui nous accordent avec le monde et avec nous-mêmes. Force donc est de constater que pour le moment la configuration des forces n’a pas l’air de préfigurer une dynamique pacifique. Mais en suspendant son jugement sur les élections, le FFS rappelle que les données actuelles ne le satisfont pas pour qu’il puisse créditer la possibilité d’un changement pacifique qui s’effectuerait sous la direction d’une société dirigeante telle qu’elle est aujourd’hui disposée. En même temps qu’il interpelle la société dominante pour qu’elle retrouve d’autres dispositions vis-à-vis de la société et lui épargne de nouvelles souffrances.
Si jamais la société dominante avait quelque chose de ressemblant avec la société coloniale qu’aveuglaient ses intérêts étroits, le changement violent deviendrait alors une « nécessité historique ». Mais pour que cette révolution puisse être démocratique, il faudrait encore éviter les erreurs du passé, se rappeler la leçon d’Abane Ramdane et d’Abdelhamid Mehri : il faudrait faire la plus large unité possible (accepter de régler nos différends de manière pacifique) pour que nous puissions-nous défaire de cette société dominante anti-nationale, empêcher que le monde ne nous impose ses intérêts et refuser la paix qu’ils veulent imposer.
Si donc l’étroitesse de vue (la non considération des intérêts d’autrui) pouvait prédominer dans la société dominante, la société et la jeunesse, seraient contraintes à une confrontation violente avec elle. Et elle serait d’autant plus violente que la société et sa jeunesse n’aurait pas de vision claire du monde qu’elles voudraient construire, qui puisse leur attirer la sympathie des forces de progrès et de liberté et leur aide contre les forces internationales prédatrices. Quand la société aura désespéré de ses élites, quand elle devra en adopter de nouvelles dans le combat alors la violence sera considérable et son issue incertaine. Difficile de dire comment l’histoire pourra éviter de se répéter, comment éviter que l’expérience révolutionnaire n’aille se perdre dans l’oubli.
La société, est, non point à un carrefour, mais à un point d’inflexion de son histoire : elle doit se préparer à une confrontation violente et préparer les cadres de gestion démocratique des conflits afin que la violence puisse être globalement contenue et ne se transforme pas en anarchie endémique. Il faut admettre aujourd’hui que nous nous comportons pour la plupart, comme beaucoup d’autres, comme si demain allait ressembler à hier, alors qu’une partie de la jeunesse et de la société glissent déjà vers l’inéluctable.
Sétif le 18 Février 2012.
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[1] Que l’on peut considérer comme étant partagée entre l’intérêt symbolique des uns et celui matériel des autres, entre l’envie de faire bande à part et celle de faire cause commune avec le reste de la société.
[2] Il n’y a qu’à voir sa défiance à l’égard de l’Islam et de nos émigrés, pour suggérer une idée, de ce qui pourrait être sa préférence : des indigènes incapables de se gouverner et de régler pacifiquement leurs conflits.