Khaled Ziri, www.lanation.info
Hocine Aït Ahmed a décidé de passer la main et les commentaires de ceux qui lui reprochaient de trop tenir la barre se mettent déjà à décréter, une fois de plus, la mort du Front des forces socialistes. Il y a tant de versatilité dans les analyses – et les comportements – que cela en devient risible. Quand Aït Ahmed « garde la main », on ressasse le pense-bête de la police politique sur le mythique « fax » que même d’anciens dirigeants du parti, en quête de premiers rôles après des années de farniente et de vraies démissions relaient avec mauvaise foi.
Après avoir fait dans le cabotinage et la girouette, des « ex » en appellent à la « raison » et demandent aux FFS à ne pas se donner « en spectacle ». Affligeant car le « spectacle » a été déjà donné et il n’avait rien de bien agréable. Il aura servi tout de même à favoriser des décantations et de révéler, par défaut, le besoin d’un débat politique permanent et d’un média propre au parti. Au-delà du cercle des « ex », il y a aussi ceux qui n’ont jamais milité, ne savent pas ce qui militer veut dire, n’ont aucune idée de l’effort qu’il faut refaire au quotidien pour faire et refaire, dans une adversité absolue, l’effort de se mobiliser et de s’organiser. Ceux-là se décrètent, dans une bulle Facebook aussi bien orientée dans le sens de la diversion que ne le sont les journaux en général, comme étant les plus « purs » des opposants. Ils sont ceux qui savent ce qui est le mieux pour l’Algérie et… aussi pour le FFS. Mieux que ses propres militants ! Ils se sont autoproclamés les derniers opposants (le mot militant, ils ne l’aiment pas vraiment car il suppose du « travail) dans une Algérie démissionnaire. Pour ces belles âmes, après avoir vendu son âme et celle du FFS au pouvoir, Aït Ahmed a rejoint, quelques mois plus tard, le reste des Algériens dans la démission. Voilà donc, la place est vide pour les héros. Il ne reste plus dans ce pays que quelques comités de chômeurs, quelques militants des droits de l’homme et … « certains journalistes » (eux bien sur !) pour tenir tête au régime. Alléluia! Il ne reste plus aux militants du FFS – et à ceux qui militent dans d’autres partis – qu’à fermer boutique. Ce genre de « conseils » implicites, le FFS en a beaucoup connu au cours de son histoire. Il y a toujours eu des gens à l’extérieur, des « professeurs » ou des « penseurs », qui ont des idées sur ce que doit faire le FFS. Ils ont un avis sur tout, même sur des questions organiques, car – élémentaire, mon cher Watson – le FFS fait partie du patrimoine politique national. On se serait pourtant bien contenté de les voir faire leur travail dans leur propre domaine. Et surtout qu’ils s’abstiennent de contribuer à la confusion que le système entretient.
« Dans leur bulle »
On peut faire l’inventaire de leur « avis », « conseils » et même « directives » pour constater qu’ils ne brillent pas par leur cohérence. Ni par une connaissance réelle de l’état de la société et du pays. Ils sont dans leur bulle. On l’a vu au sujet de la participation du FFS aux dernières législatives. Le sujet est légitime et les divergences sur cette question sont en général infinies à l’échelon des individus. Pour un parti, cela se tranche à un moment ou un autre par un vote. Le FFS n’invente rien. Mais il y a des « penseurs » et des éditocrates qui se veulent ses « amis » qui se targuent de lui fixer la bonne voie. S’il ne les écoute pas, c’est qu’il a « dealé ». Ces gens-là ne connaissent en général des Algériens que la peur qu’ils en ont, vivent dans un entre-soi virtuel et font la révolution sur le clavier. Ils se pensent si « bien » qu’ils se permettent de donner la leçon à ceux qui militent depuis des décennies dans des conditions spartiates et rudes. Ces donneurs de leçon jouent aussi aux devins et décrètent, pour nous, ce qui va advenir (cela n’arrive jamais) en faisant assaut de radicalisme. Un auguste professeur a même annoncé que la révolution est sur le point d’arriver et que des militaires (oui, oui!) se préparent à la faire et n’attendraient que le « soulèvement » populaire pour cela ! C’était très « radical » et c’était aussi et surtout un reproche au FFS et à Aït Ahmed qui auraient ainsi entravé une révolution en marche. Aujourd’hui, on ne parle plus de révolution, mais de « démission » des Algériens. Les brillants analystes s’adaptent pour continuer à brasser du vent. Il est vrai aussi que d’anciens responsables du parti qui n’ont pas donné signe de vie au FFS depuis des années se sont mis subitement, eux aussi, à véhiculer la thèse du « deal » avec le DRS. La question de la participation à une élection n’est jamais simple dans une dictature qui joue sur les leviers de la répression et de la corruption et qui peut être dure ou molle selon le niveau des ressources. Mais quand on a fait l’option tranchée de l’action pacifique, on sait qu’on est une démarche, fastidieuse et très ingrate, de reconstruire la politique. Il n’y a pas de « grand soir », il n’y qu’une accumulation de petits soirs fait d’action militante, d’abnégation et d’efforts de lucidité.
Ce que militer ne veut pas dire
Que des journalistes aient pris l’habitude de taper sur le FFS avec des arguments opposés selon les circonstances ne surprend pas ceux qui connaissent bien la corporation. Cette corporation est, elle aussi, affectée par la dépolitisation entretenue par le régime. Ce recul de la culture politique au sein de la corporation est d’ailleurs plus déterminant que les manipulations politiques orchestrées par le régime. Dans ce domaine, le pouvoir sait qu’il peut se contenter de gérer à distance les patrons de journaux en jouant sur la « manne » de la publicité. Mais que des hommes qui ont occupé des responsabilités importantes au sein du FFS – et où ils n’ont pas particulièrement brillé, mais là est un autre débat – se mettent à relayer la thèse du « deal » est beaucoup plus grave. C’est une bénédiction pour le régime qui peut ainsi avoir des « témoins » de chez l’adversaire pour dire que la politique ce n’est que de la « combine » entre « ripoux ». Quand on entend aujourd’hui des appels à ne pas se « donner en spectacle » lancés par ceux qui ont joué sur ce registre, pour une pure question d’égo froissé, on se dit bien que la culture politique n’a pas régressée que dans la corporation des journalistes. Militer dans un parti politique qui défend le changement démocratique pacifique laisse sans doute un peu de place à de l’ambition, mais le plus important reste la conviction et la lucidité politique. Que des salonnards douillettement installés dans la rente répandent l’idée que tout le monde est pourri et crient à l’inanité de l’action politique – allons sur Facebook, c’est plus facile, n’est-ce pas? – ils font strictement le travail pour lequel ils sont rétribués. Quand ces thèmes sont repris avec une énorme mauvaise foi par des présumés militants, on est dans une légèreté insoutenable. Ces « militants », dont certains étaient candidats sur les listes du FFS, n’étaient pas loin d’avoir vu, eux aussi, comme les vulgaires porte-plume de la basse-cour policière du régime, Hocine Aït Ahmed débarquer à l’aéroport militaire de Boufarik pour « négocier ». Il y a eu dans l’histoire du FFS des situations où des militants ont exprimé de réelles divergences sur l’orientation politique du FFS qui a eu aussi bien des « éradicateurs » que des « ultralibéraux ». Mais ces situations ne sont pas les plus récurrentes. Le plus souvent ces « tumultes » ont été le fait d’ambitions personnelles inassouvies que l’état de confinement imposé par un contexte répressif n’a fait qu’exacerber. C’est connu, les batailles opaques d’appareils prennent le dessus quand un contexte ultra-répressif rend difficile l’action politique en direction de la société. Cet état de confinement pousse aussi bien à la paresse qu’à des « batailles de coq » dérisoires. La paresse de ceux qui sont « installés » dans une logomachie ultra-radicale et font mine de croire que des discours « durs » et des communiqués « fermes » suffisent en soi. Que c’est cela faire de la politique ! Il y a eu des périodes ultra-répressives – des militants ont été assassinés – où le confinement destiné à l’auto-préservation se justifie. Mais ce réflexe d’autodéfense s’est accompagné aussi d’une disparition du débat politique intérieur qui aurait pu en atténuer les effets pervers. Critiquer le « pouvoir assassin » tout en ne faisant rien – ou si peu – en termes d’organisation et d’ouverture du parti est devenu un élément du statuquo que le régime impose au pays.
Le mythe du fax
Il y a un mythe du « fax » d’Aït Ahmed entretenu par les bouledogues du régime que d’ex-dirigeants du FFS relaient avec mauvaise foi pour ne pas faire l’inventaire de leur propre action ou inaction. Le FFS sera ce que ces militants en feront. Il est ce qu’il est car écrit, Hocine Aït Ahmed, il a su « tout au long de ces années, serrer les dents durant les épreuves, renforcer les liens entre les militants les plus sincères, faire corps avec sa base et remonter, victorieux, à contre-courant de tous les traquenards ». C’est le cas. Et Aït Ahmed y est pour beaucoup dans cette résistance. C’est pour cela qu’il ne vient pas de « démissionner » mais d’accomplir un autre acte militant. Et son message ne concerne pas que le parti, mais le pays et le Maghreb. Il y a des hommes qui ne démissionnent jamais. Ils peuvent partir, c’est le propre de l’humain, ils ne baissent jamais les bras. Tout simplement parce qu’ils sont des gens aimants. Aït Ahmed doit rire de ceux qui parlent de sa démission. Rions avec lui. Et continuons à nous battre.